la barbe !
Dans l’animation, 76 salarié·es de plus sur le carreau :
la précarité comme outil de management.
Le secteur du film d’animation français est un petit milieu où, soi-disant, tout se sait. Pourtant, les violences vécues sur certaines productions se font rarement entendre en-dehors de l’enceinte des studios.
Par ce communiqué public, nous souhaitons donner une vision claire du vécu des salarié·es dans notre industrie et des pratiques indignes qui y perdurent.
« Le 4 mars 2025, 76 salarié·es d’Andarta Pictures se retrouvent subitement sans emploi ni salaire. »
Le 4 mars 2025, 76 salarié·es d’Andarta Pictures se retrouvent subitement sans emploi ni salaire.
Fin février 2025, les technicien·nes embauché·es sur la série Lana Longuebarbe travaillent depuis plusieurs mois sur ce projet, dont la fin est prévue en juin 2025. Du jour au lendemain, iels sont informé·es que la production est mise en pause pour deux semaines. A la va-vite, la direction leur fait alors écourter leurs contrats.
Quelques jours plus tard, iels sont informé·es que la pause annoncée se transforme en arrêt définitif du projet. Certain·es d’entre elleux venaient à peine d’être embauché·es et aucun·e salarié·e n’avait été prévenu·e de la fragilité de l’entreprise. Tous·tes se retrouvent sur le carreau, sans avoir pu se préparer. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Courant 2024, Andarta Pictures, studio de production de films d’animation et employeur important commence la fabrication de 39 des 52 épisodes de la série 2D Lana Longuebarbe. Le studio valentinois embauche pour l’occasion de nombreux·ses technicien·nes dans de nouveaux locaux.
Rapidement, de nombreux problèmes d’organisation impactent le travail des équipes techniques. En cause, le matériel insuffisant fourni en amont mais aussi les demandes irréalistes, créant rapidement un encadrement tendu au quotidien.
Des frictions entre départements naissent de cette pression constante, mais on demande aux salarié·es de se montrer compréhensif·ves s’iels veulent garder leur emploi, utilisant une rhétorique de responsabilité individuelle face à des problèmes visiblement structurels. Plusieurs technicien·nes démissionnent, épuisé·es moralement ou physiquement, et beaucoup souffrent de ce cadre de travail.
« Malgré les dysfonctionnements signalés de manière répétée par les équipes, le studio continue à embaucher toujours plus de technicien·nes »
Malgré les dysfonctionnements signalés de manière répétée par les équipes, le studio continue à embaucher toujours plus de technicien·nes, augmentant les effectifs, sans budget, et sans communiquer sur l’état du projet.
Fin février 2025, les salarié·es sont réuni·es par la direction qui fait une annonce : la fabrication de la série est mise en arrêt de façon immédiate. Le motif invoqué : un litige budgétaire avec le commanditaire. La direction rassure : il s’agit d’un arrêt temporaire de une à deux semaines dont l’objectif est de faire pression sur le commanditaire. Elle assure que la reprise est quasiment certaine. Les informations sont minimales mais la direction affiche un certain optimisme.
Dans la foulée, les salarié·es reçoivent un email : on les presse de signer un avenant pour arrêter immédiatement leur contrat au 28 février. Les raisons restent vagues, il s’agirait d’une formalité pour appuyer la position de la direction dans le cadre de son litige avec le commanditaire. Dans la foulée, on somme les salarié·es de rendre leur badge et de débarrasser leurs affaires. Tout le monde s’attend à reprendre le travail mi-mars, mais désormais les emplois ne sont plus garantis par les contrats de travail. Le 4 mars, un nouvel email tombe. La direction y annonce la fin définitive du projet et que les salaires de février seront versés avec deux semaines de retard.

Les salarié·es se retrouvent sans emploi du jour au lendemain. La communication opaque du studio n’a permis à personne de se préparer à une telle situation.
Parmi les salarié·es laissé·es sur le carreau, plusieurs n’ont pas encore droit à l’allocation de l’assurance chômage. D’autres, venant d’emménager à Valence spécialement pour le projet, se retrouvent dans une grande précarité à cause des frais engendrés.
« la production était chaotique et a mis beaucoup de personnes en souffrance »
Dans le courant du mois de mars, les salaires ne sont toujours pas arrivés. Une partie des ancien·nes salarié·es se regroupe alors en assemblée générale pour faire le point. Au fil des témoignages, un constat commun émerge : la production était chaotique et a mis beaucoup de personnes en souffrance.
Cette fin abrupte parachève un ras-le-bol subi depuis plusieurs mois ! Ces pratiques désormais courantes dans le domaine ne sont pas l’apanage d’un seul studio, et beaucoup identifient des schémas qui se répètent. Le projet Lana Longuebarbe s’inscrit dans la continuité d’années d’efforts toujours plus importants réclamés aux salarié·es.

Les premières réunions du collectif permettent de formuler des revendications légitimes sur les conditions de fin de contrat, les salaires et l’encadrement du projet.
Une délégation de 4 salarié·es est formée, accompagnée du délégué général du SPIAC-CGT, pour présenter les revendications des salarié·es à la direction du studio. Un rassemblement d’une quarantaine de personnes soutient cette délégation. Si l’échange reste courtois, la direction nie cependant sa part de responsabilité et met fin au dialogue en rejetant la faute sur le commanditaire et les chef·fes de postes.
À cette occasion, la délégation apprend que le studio sera placé en redressement judiciaire à partir du 25 mars 2025. C’est désormais l’assurance (AGS) qui, sous forme de prêt au studio, prend en charge le paiement des salaires de février. Le retard dans leur versement s’allonge et les découverts bancaires se multiplient.
« Les salaires seront finalement versés avec plus d’un mois de retard »
Les salaires seront finalement versés avec plus d’un mois de retard mais la prise en charge de l’assurance s’arrêtera là : les salarié·es découvrent que la signature de l’avenant, exigée plus tôt, empêche tout paiement des salaires prévus par les contrats initiaux.
Les salarié·es du film d’animation, déjà fragiles par la nature ultra-flexible de leur travail, n’ont pas le temps de se retourner et plusieurs d’entre elleux se retrouvent dans une situation financière difficile.

Nous, professionnel·les du film d’animation, aimons notre métier et exigeons de pouvoir l’exercer dans des conditions décentes. Nous subissons déjà une situation de grande précarité liée à l’intermittence. Si notre flexibilité est une force pour les entreprises, elle doit être maniée avec responsabilité sous peine de devenir une arme contre nous.
Nous avons décidé de ne pas laisser passer une fois de plus ce qui met en péril notre sécurité, notre santé et notre qualité de vie. Si Andarta Pictures n’est pas le seul studio qui use de ces pratiques, leur généralisation nous mène à terme vers l’épuisement. Nous choisissons de nous servir de cet exemple pour appeler à assainir notre milieu professionnel.
Nous refusons que nos vies soient les variables d’ajustement de projets trop souvent sous-budgétisés. Le film d’animation français, mondialement reconnu, ne pourra continuer à exister sans des salarié·es traité·es dignement.
Nous savons que cette prise de position nous expose et menace nos emplois déjà fragiles dans un milieu reposant sur le réseau et le bouche à oreille. Nous comprenons que d’autres préfèrent rester dans le silence par peur des représailles : blacklistage et mise à l’écart entraînant pauvreté et isolement social.
Nous sommes cependant convaincu·es qu’un silence généralisé ne débouche à terme que sur des pratiques toujours pires, pour nous comme pour tous·tes nos collègues, et plus encore pour les jeunes diplômé·es. Cette pressurisation entraîne trop de burn-outs, de dépressions, d’anxiété, que rien ne saurait justifier.
Notre tolérance atteint aujourd’hui sa limite. La barbe !
Nous invitons tous·tes les salarié·es du film d’animation qui se reconnaissent dans cette situation à se mobiliser à nos côtés, en partageant ce communiqué et en donnant de la visibilité à notre mobilisation.
Nous invitons également celleux qui le peuvent à participer à la cagnotte de solidarité qui sera prochainement créée pour soutenir nos collègues les plus impacté·es financièrement par la situation.
